Comment ne pas penser aux vacances lorsque, enfermé dans une salle non-climatisée par trente-cinq degrés, avec trente-cinq autres élèves suants toute l'eau de leur corps, on nous rabâche des choses inintéressantes? Bien que ce soit le cas de la plupart des personnes présentes dans cette pièce – prof y compris! Car n'ayant pas réussi le concours pour devenir prof d'Anglais, Mr Tanaka avait passé celui d'Histoire et, malheureusement pour ses élèves, avait obtenu son diplôme – il faut s'intéresser plus particulièrement aux cas de Saya Modae et de Suzuran Omamori. Ces deux jeunes filles, âgées de 16 et 17 ans, amies de longue date dans le meilleur ou dans le pire, n'en pouvant plus de cette atmosphère étouffante, décidèrent de sécher les deux dernières heures de cours et allèrent se réfugier à la fraicheur de la bibliothèque. La climatisation y fonctionnait en permanence, il n'y avait personne à cette heure-ci et les deux jeunes filles adoraient la lecture. C'était donc le meilleur endroit qu'elles pouvaient trouver. Les adolescentes atteignirent l'endroit grâce aux transports en commun et se mirent à lire tranquillement, chacune d'elle ayant trouvé un livre dans l'étagère qui lui convenait le plus. Saya aimait les nouvelles classiques françaises, Suzuran elle …
- Hey, Saya, regarde.
- Qu'est-ce que c'est? demanda l'intéressée en levant les yeux vers le livre que lui tendait Suzuran.
- Je sais pas trop, je l'ai juste feuilleté et il me tente. Je l'ai trouvé dans le rayon sur l'occulte et tout le tralala. Ca pourrait être drôle. On l'emprunte?
- Si tu veux...
Saya n'en avait rien à faire. Elle écoutait Suzuran lui en parler car ça la faisait rire. La plus âgée, elle, y croyait. Les deux jeunes filles finirent par rentrer à leur appartement, lorsque la chaleur, de par le monde qui s'était rendu dans le lieu public, devint insupportable malgré la climatisation. Elles habitaient ensemble depuis quelques mois... Depuis que Saya avait perdu ses parents d'une étrange manière. Quant à Suzuran, désir d'indépendance oblige, elle avait son appartement depuis l'année précédente et ses parents, aisés, payaient le loyer.. Saya alluma le ventilateur et Suzuran posa le livre sur la table.
- Tu veux manger quoi?
- Laisse moi faire tu veux? Ce que tu cuisines est généralement immangeable...
- Généralement, donc pas tout le temps!
- Je ne voulais pas te blesser mais puisque tu soulèves le sujet toi même je rectifie : ce que tu cuisines est toujours immangeable.
Saya eut une moue boudeuse et regarda le livre un moment avant de se poser dans le canapé. Elle s'amusa devant une émission idiote en attendant le repas. Ca sentait vraiment bon. Quand Suzuran leur faisait à manger, les papilles de Saya s'en souvenaient longtemps. Ce soir c'était nouilles sautées au poulet. Suzuran l'appela et mit la table.
- Ca a l'air délicieux... Comme toujours.
- Tu pourrais faire presque la même chose rien qu'en restant plantée devant ton plat, au lieu d'aller voir ailleurs et de l'oublier ...
Elle mangèrent tranquillement en regardant la télévision. Lorsqu'elles eurent terminé, Saya prit enfin le livre et l'ouvrit. Un sentiment de peur l'envahit, que Suzuran remarqua. Elle rit.
- Eh bien? Je croyais que tu n'y croyais pas?
- Avoue que c'est quand même étrange.
- Pas plus que celui de la sem...
L'ainée jeta un coup d'oeil sur la page où était Saya. Il y avait tout un tas de formules étranges avec des mises en garde. Ce n'était pas le cas de celui de la semaine dernière. Et les pages qu'elle avait feuilleté précédemment ne contenaient pas ce genre de choses. Comme si … La jeune fille n'eut pas le temps de poursuivre sa réflexion car Saya prit la parole :
"Pour tout nouveau départ, d'une fin on a besoin,
Et pour sauver le monde il faudra le faire sien
A vous de décider ce que vous en ferez
Mais sachez que jamais vous ne retrouverez
Ce que vous commencez à présent à quitter."
C'était une formule au hasard, et pourtant les deux jeunes filles eurent l'impression que c'était la pire qui puisse exister. Elles se regardèrent. Rien ne se produisit mais elles ne se sentaient pas soulagées pour autant. C'est donc dans un silence de mort qu'elles attendirent quelque chose. Quoi, exactement? Elles n'en avaient aucune idée. Mais main dans la main, rentrant presque leurs ongles dans la chair de l'autre, elles attendaient, anxieuses.
Puis Suzuran finit par avoir un rire nerveux.
- Regarde dans quel état pitoyable nous sommes!
Elle allait se lever lorsqu'un tremblement de terre d'une puissance affolante secoua l'immeuble. Suzuran et Saya furent plaquées au sol. Les deux jeunes filles ne sauraient dire combien de temps les secousses durèrent; le temps semblait s'être arrêté, cependant qu'un boucan assourdissant retentissait; on aurait dit d'une tempête au dehors, le ciel était déchiré d'éclairs aveuglants et d'une pluie diluvienne inextinguible; et cette terre qui n'en finissait plus de trembler, comme si elle se brisait de toute part … L'immeuble s'affaissa, arrachant des cris de terreur aux deux adolescentes. Cet enfer était insoutenable.
Les éléments finirent par se calmer, doucement mais surement. Les secousses se firent de plus en plus infimes, la pluie redevint fine et le vent s'arrêta de souffler; le ciel néanmoins resta gris. Les deux jeunes filles attendirent quelques secondes, haletantes, pour être sures que cela ne recommencerait plus, puis se relevèrent. L'ainée se dirigea vers la fenêtre et trouva une ville sombre et morte. Nul besoin de sortir pour être convaincu que les ravages étaient partout pareils; néanmoins Saya tenta de mener Suzuran vers l'extérieur. Celle-ci lui empêcha de prendre son bras et lui lança un regard noir avant d'y aller elle-même. Saya commença à avoir un mal de crâne assez vif mais sortit aussi à son tour. Devant les deux jeunes filles se dressaient deux groupes distincts. Le premier, vêtu de blanc, s'agenouilla devant Saya et l'autre, de couleur dorée, s'agenouilla devant Suzuran.
Surprises, les deux jeunes filles demandèrent à l'assemblée qui ils étaient. En choeur de voix monotones, ils répondirent.
- Nous devons aider les Créatrices à faire régner l'ordre sur le monde nouveau.
Suzuran regarda une des personnes qui s'était agenouillée devant elle et lui adressa la parole.
- Le monde nouveau?
Encore une fois ils répondirent tous ensemble :
- Le monde que vous connaissiez n'existe plus. Nous devons aider les Créatrices à faire régner l'ordre sur le monde nouveau.
- Non pas qu'ils se répètent, déclara Saya, mais j'ai un peu du mal à comprendre.
- Nous reconstruirons ce monde selon vos exigences, puissantes Créatrices. Nous devons aider les Créatrices à faire régner l'ordre sur le monde nouveau.
- Ils m'énervent! Finit par lâcher Saya.
A ces mots, « son » groupe se tut, tandis que celui de Suzuran continuait.
- Nous sommes à vos ordres, Mademoiselle Omamori Suzuran.
Le second groupe ne fit qu'acquiescer. Après tout, Saya leur avait imposer le silence ...
Les deux jeunes filles firent rapidement le tour de la ville pour voir ce qu'il restait. A part les deux groupes et des ruines, il n'y avait rien. Les animaux, farouches, ne se montraient pas et c'est à peine s'ils osaient laisser un seul son sortir de leur gueule; quant aux humains, il n'y en avait aucun. Ni vivant, ni mort.
- Mademoiselle.
Chacun des groupes s'adressait à sa maitresse respective.
- L'immeuble des Créatrices est prêt à vous héberger.
Les deux jeunes filles se regardèrent et suivirent leurs serviteurs qui, tête baissée, les y invitait. Le dernier immeuble debout n'était pas très grand, c'était pourquoi Saya et Suzuran n'y avaient pas fait attention, pensant qu'il était tombé, comme les autres. Elles y prirent leur quartier et donnèrent des ordres pour la reconstruction de la ville et leur bien être personnel.
Après quelques jours, d'étranges oiseaux apparurent dans le ciel. C'est ainsi qu'elles remarquèrent une bulle enveloppant la ville. Elles allèrent jusqu'au bout et remarquèrent que de l'autre côté tout paraissait normal. Les gens ne semblaient même pas voir cet endroit. Certains s'y dirigeaient et Saya, un sourire sadique sur le visage, attendait qu'ils se retrouvent à l'intérieur mais, pour une raison inconnue, ce ne fut le cas que d'une personne sur la centaine qui s'était approchée. Saya le regarda d'un air malicieux. Elle fixa Suzuran qui semblait beaucoup trop gentille quand le soir tombait et demanda à un de ses hommes de tuer l'intrus.
- Nous allons jouer avec ceux qui viennent ici. Cachons le livre et protégeons le. C'est nous qui dirigeons ce monde. Nous qui décidons de la vie ou de la mort de ceux qui entreront ici.
- Mais...
Saya ne la laissa pas finir et retourna dans l'appartement. C'est ainsi que certaines personnes, capables ou non de voir la bulle, étaient happées dans cette ville.
La ville du tourment.